Mouvement social : la com de rue tient le haut du pavé

Bruno Lafosse
2 minutes

«Si tu nous mets 64 on te re-mai 68 ». Nous sommes nombreux à avoir aperçu cette pancarte brandie parmi tant d’autres lors des manifestations contre la réforme des retraites. En posant une passerelle symbolique entre deux mouvements sociaux emblématiques – Mai 68 et aujourd’hui – ce slogan nous rappelle que chaque mouvement social et politique d’ampleur se caractérise par une faculté d’invention langagière. La revendication populaire sait produire une foule de messages. Elle crée ou, au besoin, détourne des œuvres, des médias ou des objets : on se souvient des affiches de Mai 68, créées par étudiants en art et non forcément par les ouvriers. On se souvient du chantant « Tous ensemble, tous ensemble ! » de novembre-décembre 1995. 

On se souvient des glaçantes poches de sang utilisées par Act Up pour sortir les malades du Sida de l’invisibilité. On se souvient du douloureux « Je suis Charlie ». On se souvient des gilets jaunes et des ronds-points. On se souvient des collages des militantes féministes. On se souvient du hashtag « me too ». La rue affiche ainsi sa vitalité pour faire bouger le rapport de force. 

Le mouvement de 2023 s’inscrit dans cette filiation.  as de slogan ou de mot d’ordre unique. Ce qui frappe au contraire, c’est la multiplication des punchlines bien senties, des pancartes ou banderoles bricolées avec le souci d’un message clair, teinté d’humour mordant. Si les syndicats retrouvent leur force d’entraînement, la parole est en revanche libre et dispersée. 

Ce qui conduit à deux constats. Le premier renvoie à l’affaiblisse-ment de la parole institutionnelle, y compris celle des syndicats. Trop d’images usées, de références datées, de discours formatés ont fini par appauvrir la force de communication du mouvement social. 

Deuxième constat : la reprise en main (pour faire écho à l’excellent film de Gilles Perret) par ces travailleuses et travailleurs de la communication de leur colère n’entache pas la force du mouvement. Bien au contraire. La floraison des messages, leur capacité à faire mouche aussi sur les réseaux sont autant d’éléments de leur impact. En soi, c’est une bonne nouvelle. À nous, communicants publics et sociaux, de nous inspirer de cette vitalité pour qu’elle irrigue les futures campagnes.