Ce n’est qu’un hashtag, poursuivons le combat

Bruno Lafosse
3 minutes

Il y a un an tout juste, les gilets jaunes faisaient irruption sur nos ronds-points. Investissant des espaces souvent méprisés par les élites, mais aménagés par elles (ronds-points, zones commerciales sans âmes loin des centres-villes), ils ont donné une visibilité à cette France oubliée des métropoles et des médias qui souffrait jusque-là en silence. Ils ont trouvé, en détournant un objet banal et quotidien et en lui conférant une charge de colère, un signe de ralliement immédiatement repérable. Ils se sont également approprié des codes plus anciens que certains d’entre eux n’imaginaient pas mobiliser un jour, comme l’occupation d’espaces publics et les manifs, passant ainsi de l’autre côté des écrans, de téléspectateurs à acteurs.

Un an plus tard, la grève annoncée du 5 décembre prochain rappelle que les formes d’actions sociales traditionnelles n’ont pas totalement disparu. Elles n’appartiennent pas seulement à une mythologie révolutionnaire révolue. Certes, sur le long terme, cette forme de conflictualité diminue. Mais pour autant, la force symbolique de la grève reste intacte tout comme sa réelle capacité à impacter les activités humaines et économiques dès lors qu’on touche à un domaine comme les transports. Il suffit de citer le mouvement de 1995…

Ce qui est nouveau, c’est que les formes anciennes et nouvelles de mobilisations ne s’ignorent plus, voire se complètent. La convergence des colères peut se réaliser — c’est notamment la crainte du gouvernement. Pourquoi ? Parce que deux ans et demi après l’avènement du Nouveau monde en politique et un an après les gilets jaunes, les revendications n’ont – comme les inégalités – pas disparu. Retraites, hôpital public, école, universités… des sujets ô combien sensibles sont aujourd’hui au cœur des préoccupations et peuvent rallier une majorité de l’opinion.

S’y ajoutent de nouvelles préoccupations qui créent leurs propres formes d’actions : égalité femmes-hommes, lutte contre les féminicides et les violences sexuelles, enjeux climatiques, participation des citoyens aux décisions, droit des animaux… Ces mobilisations ont en commun le sentiment d’urgence (ça ne peut plus durer), l’efficacité des outils offerts par les réseaux (pétitions, circulation de l’information) et simplicité des formes avec des signes graphiques souvent aussi forts qu’économes.

Certaines formes extrêmes et violentes nous interpellent : suicides dans l’Éducation nationale ou immolation de ce jeune étudiant précaire révèlent les détresses extrêmes subies par certaines personnes. Elles aussi revêtent une signification politique : ces violences infligées à soi-même, sont révélatrices de la détérioration des rapports sociaux et de l’impossibilité à se faire entendre et à se comprendre.

De manière moins tragique, on trouve sur les réseaux mais aussi dans la rue, une grande capacité à inventer des signes et des messages forts, voire de véritables campagnes sur des modes très simples et accessibles : Je suis Charlie, #wagonsanscouillon et Nous toutes après #balancetonporc, travail de Marguerite Stern sur les féminicides, extinction rebellion… Tous les néo-activistes maîtrisent l’art de la com et de la viralité. Act up l’avait compris la première mêlant happening et communication coup de poing, mais jamais dénuée de sens.

Chaque mouvement social et politique a cette capacité à inventer des formes et des codes, dans le bouillonnement d’idées et de propositions qui lui sont propres. Ils nous choquent parfois, nous prennent de court, nous étonnent. Ils participent à un renouveau du débat démocratique et bousculent les représentations dominantes. « Ce n’est qu’un début, continuons le combat », scandaient grévistes et manifestants de mai 1968. À coup de punchlines, leurs petits enfants répondent en écho : « ce n’est qu’un hashtag, poursuivons le combat » !